C’est pourquoi on a tendance à le dénoncer chez ceux qui osent : "C’est trop fort !" "Quel culot !" Peut-être ces exclamations trahissent-elles aussi une part d’envie. Car le culot, ce n’est pas se mettre en avant aux dépens d’autrui, écraser les autres. C’est écraser ses propres barrières, ses craintes, ses doutes.
En entreprise, s’affirmer en toute bienveillance peut se révéler un précieux sésame. D’où la floraison des formations sur l’assertivité, terme somme toute plus moderne et plus convenable, parce que débarrassé d’une racine qui renvoie au postérieur... Le terme importe moins, cependant, que le principe qu’il recouvre, et l’inventaire de ses bienfaits pourrait remplir un livre entier. Un peu d’audace, donc, en guise de programme : le faire en quelques lignes. Culotté, n’est-ce pas ?
Une qualité prisée, mais qu’on ne nomme pas
Le lien le plus courant entre culot et entreprise regarde paradoxalement ceux qui aspirent à y entrer. Que demande-t-on aujourd’hui aux candidats dans les annonces que l’on diffuse ? D’être "innovants" et "proactifs", "disruptifs" et "force de proposition"... À bien des égards, toutes ces exigences relèvent du culot – et sans doute utiliserait-on "culotté" si l’on n’avait pas peur des mots. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Ce qu’on veut, ce sont des talents qui n’ont pas froid aux yeux, qui ne craignent pas d’expérimenter, que l’échec n’effraie pas et que la difficulté stimule.
On sait en outre que la chose, à bonne dose, peut plaire en entretien et faire la différence. Cela va du CV décalé à l’attitude très sûre de soi, un catalogue de trucs et astuces pour créer la surprise, en bonne ou mauvaise part. Mais alors le culot est un moyen factice de parvenir à ses fins : la véritable audace est mère de simplicité et doit être perceptible dans le discours, voire dans le parcours. C’est moins une attitude qu’une attention, à l’autre, au moment, à soi-même ; une disposition d’esprit, enfin, qui règle la conduite et les actes.
En tant que principe d’action, le culot réduit nécessairement le champ de ceux (et celles) qui ne le cultivent pas. D’après un article intitulé "les femmes manquent-elles d’ambition ?", publié en février 2012, une femme ne répondra à une annonce que si elle possède au moins 80 % des compétences demandées, alors qu’un homme se contentera de 25 %. Les raisons pour lesquelles une femme se mettrait plus de barrières qu’un homme n’ont évidemment rien de naturel et reposent sur des stéréotypes ancrés depuis l’enfance. Nos croyances, bien souvent infondées, limitent ainsi notre pouvoir de décision. Je ne dis pas que le culot, c’est de savoir se vendre sans les compétences requises, mais simplement que la confiance en soi permet de lever certaines barrières mentales.
Oser pour soi et pour son entreprise
L’exemple choisi veut illustrer le poids des stéréotypes bien au-delà des biais relatifs au genre : car nos audaces se mesurent toujours à notre histoire. Les caractères bien trempés foncent, chutent, se relèvent, recommencent ; les timorés vont répétant que leurs projets sont bien plus beaux, et passent une vie à les contempler sans agir. Il y a ceux qui osent, et ceux que la crainte sclérose. Il est certes malaisé de forcer son caractère, mais l’audace s’apprend et se nourrit de petites victoires : un pas après l’autre. De sorte que s’affirmer, c’est "déposer l’espérance et se donner la foi", comme disait le grand Alain. Oui, le culot est un effort et une conquête, mais il est à soi-même sa propre récompense.
Si le culot est un atout pour les individus, il n’est guère étonnant que les organisations cherchent à en recueillir les fruits pour elles-mêmes : d’où l’idée d’en promouvoir l’usage auprès des collaborateurs, de favoriser l’affirmation de soi, notamment à travers des séminaires dédiés au leadership et aux nouvelles techniques de management. Au sein des groupes, on invite aussi des ambassadeurs en assertivité à répandre la bonne parole en interne, une sorte de brand advocacy appliquée aux soft skills : des échanges plébiscités, notamment parce qu’ils sont menés par des pairs qui prouvent ipso facto que l’audace est payante.
"Mettez en tout un grain d’audace"
Payante, parce qu’elle favorise l’épanouissement et l’engagement, mais aussi en tant qu’outil de progression de carrière. C’est d’ailleurs, on l’a vu, un bon moyen "d’entrer dans la carrière", de se différencier en entretien, de montrer d’emblée que l’on saura faire preuve d’initiatives, faire entendre sa voix, être assertif. Le culot peut encore être un critère différenciant pour les recruteurs qui composent avec ce qu’ils savent de la culture d’entreprise : une perception qui les amène souvent à se mettre des barrières, des biais. Or il n’appartient qu’à eux de s’affirmer et d’imposer, par exemple, des candidats atypiques ou des outils de recrutement innovants, d’interroger la pertinence de certaines pratiques, de challenger les managers sur leurs propres attentes. Certes, les résistances sont parfois bien réelles, mais les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.
Source : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/quel-culot-de-laudace-comme-chemin-de-reussite-professionnelle-131527